Sur 500 accouchements, au moins une femme a découvert sa grossesse au-delà de la 20e semaine. Cela s’appelle le déni de grossesse qui est considéré comme total lorsque la mère ne découvre pas du tout qu’elle est enceinte jusqu’à l’accouchement. Ce phénomène de plus en plus observé dans le milieu gynécologique est d’une kyrielle de facteurs à risques et loin d’être sans conséquences pour celles qui en souffrent. Dans un entretien qu’il nous a accordé, le Pr Charlemagne Ouédraogo, lève un coin du voile sur une « maladie complexe » du fait notamment de sa méconnaissance. Cet éminent gynécologue obstétricien et ancien ministre de la Santé, estime que le mal « nécessite une intervention et un soutien professionnels pour garantir une grossesse et un accouchement sûrs ». Lisez plutôt.
Qu’est-ce que le déni de grossesse ?
Il faut dire que le déni de grossesse se définit comme l’ignorance active et inconsciente du fait d’être enceinte, pendant la totalité de la grossesse ou une partie excédant vingt semaines d’aménorrhée. Selon le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), il se définit comme « le fait pour une femme enceinte de ne pas avoir conscience de l’être ». En effet, elle ne parvient pas à identifier qu’elle est enceinte, et ce, au-delà de 20 semaines d’aménorrhée (SA). Il est dit « partiel » s’il prend fin avant terme et « total » s’il se poursuit jusqu’à l’accouchement. »
Au vu de cette définition, est ce que le déni de grossesse peut être considéré comme une maladie ?
Oui, le déni de grossesse est considéré comme une maladie mais son apparition en tant que maladie n’est que récente. En effet, dans la dernière Classification Internationale des Maladies (CIM) de septembre 2020, le déni de grossesse (concealed pregnancy, en anglais) apparaît dans la catégorie « supervision of high risk pregnancy » c’est-à-dire les grossesses pour lesquelles la surveillance doit être accentuée.
Quelles sont les principales causes du déni de grossesse ?
Il n’est pas aisé de déterminer les causes du déni de grossesse mais plusieurs facteurs de risque ont été décrits dans la littérature. Il y a notamment la situation sociale, plus précisément la précarité et/ou instabilité sociale. Il y a également l’absence de communication verbale et/ou une éducation particulièrement rigide ou défaillante, le manque d’éducation à propos du corps et de la reproduction. A ces facteurs de risques il faut ajouter la consommation de drogues, mais aussi les antécédents gynécologiques et obstétricales, les es antécédent d’IVG (Interruption volontaire de grossesse). L’hypofertilité, l’utilisation d’un contraceptif, les antécédents psychiatriques telle que la schizophrénie, les Relations mère/fille très fusionnelles, ambivalentes et régressives sont également des facteurs de risque.
Avec tous ces facteurs de risque, comment reconnaitre donc les symptômes d’un déni de grossesse ?
Il n’y a pas de symptômes spécifiques du déni de grossesse. Il s’agit le plus souvent d’une femme qui consulte pour des signes de grossesse à type de nausées, vomissements, augmentation de volume de l’abdomen rationnalisés et rattachés à tort à une autre cause. Elle ne se reconnait pas enceinte mais l’examen gynécologique, biologique et échographique permet de poser le diagnostic de grossesse par la positivité des BHCG (hormone produite par le placenta lorsqu’une femme est enceinte) et la présence d’un fœtus d’âge échographique supérieur à 20 SA en intra-utérin. La grossesse peut être également découverte à l’occasion de ses complications telles que les saignement, éclampsie, etc. En cas de déni total, la grossesse reste méconnue et fera l’objet de consultation en cas de début de travail d’accouchement.
Quel est le taux de prévalence de ce mal de façon générale et au Burkina en particulier ?
Il faut dire que la littérature note une fréquence estimée à 1/500 accouchements, dont 38 % de déni total (1/2 500 accouchements). Mais au Burkina Faso, aucune étude dédiée au déni de grossesse n’a, pour le moment, été notifiée à notre connaissance.
Est ce qu’il existe des moyens pour prévenir ou soigner ce phénomène ?
Oui, la prévention du déni de grossesse fait appel à diverses stratégies. L’éducation en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris en matière de contraception chez les adolescents, est cruciale pour la prévention. Les agents de santé (infirmiers, sages-femmes, …) peuvent jouer un rôle essentiel dans la promotion des ressources, le dépistage des grossesses et l’éducation des parents et des enseignants à ce sujet. Les interventions psychologiques, telle que la psychothérapie, sont recommandées pour résoudre les conflits sous-jacents et prévenir de futurs cas de déni de grossesse. Comprendre les processus psychologiques, y compris les mécanismes de défense mentale tels que l’identification projective, peut aider à dépister les populations à risque et à fournir un soutien approprié. Dans l’ensemble, une approche multidisciplinaire impliquant les professionnels de la santé, les éducateurs et les familles est essentielle à la fois pour prévenir et traiter le déni de grossesse, en particulier dans les populations vulnérables comme les adolescentes.
Qu’en-est-il de la prise en charge ?
La prise en charge est multidisciplinaire (obstétricien, sage-femme, psychologue, psychiatre). Le déni de grossesse découvert au cours de la grossesse nécessite non seulement un accompagnement psychologique, en aidant la patiente à reconnaitre et à accepter son état gravidique, mais aussi un suivi plus fréquent avec le même interlocuteur (consultations, échographies supplémentaires, monitorage à domicile) selon le terme de découverte de grossesse via le moins de professionnels de santé possible afin de nouer une relation de confiance avec la femme. Il est aussi nécessaire de planifier l’accouchement, un accompagnement familial et de proposer une consultation avec un psychologue en laissant le choix à la femme. Dans le cas où le déni de grossesse est découvert à l’accouchement, il nécessite un accompagnement psychologique en aidant la patiente à reconnaitre et à accepter son enfant, en vue d’éviter un néonaticide, ainsi qu’un accompagnement de la famille. Il est aussi important de rechercher la cause afin d’éviter une récurrence.
Est-ce que ce phénomène peut affecter la santé mentale et physique de la patiente ?
Oui, le déni de grossesse peut avoir un impact significatif sur la santé mentale et physique de la patiente. Cette affection peut être classée dans la catégorie du déni psychotique ou du déni non psychotique, avec des sous-types tels que le déni affectif et le déni généralisé. Ce phénomène, caractérisé par une méconnaissance de la grossesse, présente des risques pour le bien-être de la mère et du nouveau-né, entraînant une morbidité maternelle, fœtale et néonatale. Des recherches suggèrent que le déni de grossesse peut être associé à une faible estime de soi, à la solitude et à une mauvaise communication avec les partenaires, aggravant encore les implications de cette maladie sur la santé mentale. En outre, le déni de grossesse a été associé à des conséquences extrêmes, comme le néonaticide, ce qui met en évidence le besoin crucial de services d’identification et de soutien précoces afin d’atténuer les risques tant pour la mère que pour l’enfant.
Quels conseils donneriez-vous aux femmes si elles doivent faire face à un déni de grossesse dans leurs vies ?
Lorsqu’une femme est confrontée à un déni de grossesse, il est essentiel qu’elle consulte un médecin et qu’elle obtienne de l’aide pour assurer son bien-être et celui de l’enfant à naître. Le déni de grossesse, qu’il soit psychotique ou non, peut entraîner diverses complications et risques pour la mère et le nouveau-né. La recherche d’un suivi obstétrical et l’exploration des caractéristiques cliniques du déni de grossesse sont des étapes essentielles de la prise en charge de cette affection. De plus, la résolution de tout conflit psychologique sous-jacent, tel qu’une faible estime de soi ou une mauvaise communication, peut être bénéfique pour faire face au déni de grossesse. Il est important que les femmes comprennent que le déni de grossesse est un phénomène complexe qui nécessite une intervention et un soutien professionnels pour garantir une grossesse et un accouchement sûrs.
Entretien réalisé par Judith Stéphanie Barro